En cherchant à appesantir le bon peuple sur les vicissitudes d'être riche et au moyen d'une plaquette de la CNCI, la droite et l'extrême droite veulent une fois de plus démanteler l'État pour que les requins neuchâtelois du commerce et de l'industrie puissent continuer à évoluer en eau trouble.

À propos de la plaquette électorale de la CNCI1

Tout le monde connaît la manière qu’ont les illusionnistes pour vous manipuler : ils vous montrent la lune lorsqu’ils vous enfilent un suppositoire. En cette période électorale, les grands magiciens de la CNCI enfument, une fois de plus, la population neuchâteloise au moyen d’un « tous ménages » qui se prétend scientifique, donc implacable et irréfutable. Ces enfumeurs veulent nous faire plaindre les malchanceux qui gagnent 500’000 frs l’an, parce qu’ils paieraient 34 fois plus d’impôts que les bienheureux qui n’ont que 100’000 frs brut par an.

Pour disséquer leur tour de passe-passe, nous devrons jouer les instituteurs et faire quelques calculs ; nous nous en excusons d’ores et déjà auprès des lecteurs, mais il faut bien cela pour faire sortir la vérité du chapeau des prestidigitateurs de la CNCI. Pour simplifier la compréhension de notre propos, nous appellerons « APLAINDRE », la famille qui possède un revenu annuel de 500’000 frs, alors que ceux qui ne disposent que de 100’000 frs brut, nous les nommerons les « CHANCEUX ». Les CHANCEUX, comme les APLAINDRE, familles imaginées par les stratèges du PLR (pardon, de la CNCI), ont deux enfants de 7 et 10 ans ; l’un des parents (Monsieur ?) travaille à 100 %, alors que l’autre (Madame ?) bosse à 50 %. De telle sorte que, les APLAINDRE comme les CHANCEUX vivent à Neuchâtel, sont des pendulaires et mettent leurs rejetons en structure d’accueil durant 2 jours et demi par semaine.

Vous aurez remarqué, au passage, que la CNCI met en avant des salaires « bruts », c’est le premier enfumage ! Et il n’est pas innocent, parce qu’il oblige le lecteur sérieux à faire de nombreux calculs qui prennent du temps ; or, nos contemporains n’ont malheureusement plus le temps nécessaire à une telle analyse. « BRUT », cela signifie que les époux APLAINDRE bénéficient d’un revenu effectif de 440’000 frs, alors que les CHANCEUX se contenteront de 88’000 frs chaque année. En effet, il faut enlever au revenu brut environ 12 % de déductions sociales (AVS, 2e pilier).

Les uns comme les autres peuvent faire de multiples déductions fiscales : primes d'assurance maladie, frais professionnels, déduction pour enfants, déduction pour double gain, frais de garde… Les CHANCEUX n’auront un revenu imposable que de 40’638 frs alors que les APLAINDRE seront imposés sur un revenu de 385'021 frs2. Conclusion : les CHANCEUX ne paieront que 2’979 frs d’impôt (7,5 % de leur revenu imposable), les APLAINDRE en paieront quant à eux 103'082 frs (27,3 % de leur revenu imposable). Présentés ainsi par la CNCI, il est vrai que nous serions tentés de compatir au sort des pauvres APLAINDRE. Mais soyons un peu sérieux, Messieurs les patrons des patrons !

Reprenons vos chiffres3 :

Les CHANCEUX ont donc un revenu « NET » annuel de 88’000 frs. Ils auront toutefois des dépenses inévitables : les frais professionnels, les frais de garde des enfants, les impôts… Soit 27'541 frs ; ce qui leur laissera 60’459 frs chaque année pour vivre, c’est-à-dire 5’038 frs par mois. Avec cette somme, ils devront payer les primes d’assurance maladie (en moyenne 2 fois 485.-4 pour les adultes et 2 fois 110.-, soit au total 1’190.-), le loyer (environ 2’000.-, charges comprises à Neuchâtel pour un 4 pièces5), l’électricité, les télécommunications, des assurances et taxes diverses pour 250.-6. Il ne lui reste donc plus que 1’598.- pour manger, se vêtir et pour les loisirs (même les pauvres y ont droit) ; soit 20 frs par jour et par personne. Gageons que, s’il leur arrive un pépin quelconque (maladie, dentiste…), les CHANCEUX vont devoir très vite déchanter et faire appel aux services sociaux, donc à l’État, pour les aider à sortir de la mauvaise passe.

Les APLAINDRE, eux, ont un revenu net annuel de 440’000 frs. Leurs dépenses inévitables s’élèveront à 137'461 frs, ce qui leur laissera 302'539 frs, soit 25'212 frs par mois. Si l’on compte les mêmes dépenses pour l’assurance maladie obligatoire, le loyer et autres frais indispensables (3’440 frs7), ils auront encore 22’772 frs chaque mois pour se nourrir, se vêtir et pour leurs loisirs. Ceux-là n’auront donc aucune difficulté à faire face aux aléas de la vie.

Voici donc le deuxième enfumage de la CNCI : plutôt que de montrer les sommes colossales dont disposent les riches après déduction des impôts, elle pointe du doigt les impôts eux-mêmes, fait croire au bon peuple que les riches font beaucoup pour la République alors, qu’en définitive, ils en font peu.

Dès lors, si les nantis avaient un tant soit peu de sens moral et de bon sens, ce n’est donc pas 103’000 frs, mais au moins le double qu’ils seraient fiers de payer. Car ils auraient conscience que c’est grâce aux impôts (ceux de la génération précédente) qu’ils ont pu faire des études, études qui leur ont permis de gagner les fortunes qu’ils engrangent aujourd’hui. Ils reconnaîtraient que c’est grâce à l’impôt que leurs enfants peuvent aller à l’école et ainsi développer leur intelligence ; que c’est grâce à l’impôt qu’ils peuvent facilement se rendre à leur travail et qu’ils peuvent vivre en paix, protégés comme tout un chacun, par la police et la justice. C’est grâce aux services publics qu’ils peuvent se laver, que leurs déchets sont éliminés, qu’ils peuvent prendre les transports publics pour voyager. Enfin, c’est grâce aux impôts que l’État peut construire les infrastructures indispensables à la venue d’entreprises dans le canton, créant ainsi des emplois et de la richesse.

En feignant de l’ignorer, la CNCI se moque de la population laborieuse neuchâteloise. Elle manipule des chiffres, qui n’ont rien à voir avec la réalité du terrain, dans un seul but électoraliste : celui de faire élire des candidats tout aussi égoïstes qu’eux et ignorant des réalités de vie de la plupart de leurs concitoyens. Des candidats, aveuglés par leur idéologie, qui n’ont pas hésité à baisser les impôts des riches en décembre dernier ! Un petit cadeau de 1’000 frs dans l’escarcelle des APLAINDRE de tout poil, qui ont déjà plus qu’assez pour vivre, alors que l’État sera privé de 4’000’000 frs de recettes fiscales ; ce qui l’obligera à revoir ses subsides pour les moins chanceux d’entre nous, qui dès lors devront se serrer encore un peu plus la ceinture. Bref, les candidats de la CNCI ne représentent qu’eux-mêmes et non pas la population neuchâteloise.

Au surplus, le reste de la brochure de la CNCI est un amalgame de comparaisons foireuses8 pour, une fois de plus, mettre en avant « l’épouvantail » des impôts et faire croire que le canton de Neuchâtel est invivable. En faisant cela, la CNCI détériore l’image de notre canton, travaille contre l’économie neuchâteloise et donc fait le contraire de ce pour quoi elle est payée !

Luc Rochat, Les Ponts-de-Martel

1 Chambre neuchâteloise de commerce et de l’industrie, c’est-à-dire le syndicat des patrons du canton.

2 Nous n’avons pris en compte ici que les déductions proposées par la CNCI, mais les APLAINDRE pourraient encore facilement bénéficier d’autres déductions, comme les primes du 3e pilier, par exemple.

3 Toutes les sommes évoquées ici sont celles que la CNCI a utilisé et qu’elle a bien voulu me transmettre.

4 Prime moyenne 2017 annoncée par Arcinfo le 26.9.2016

5 Basé sur « Loyer mensuel moyen des logements vacants à louer au 1er juin 2016, par districts et par villes », Service de la statistique de l’État de Neuchâtel.

6 Toutes ces dépenses ont été plutôt sous estimées pour qu’on ne puisse m’accuser d’embellir la situation des CHANCEUX.

7 Il est vrai que les APLAINDRE ne se contenteront pas d’un petit 4 pièces dans un quelconque immeuble de la ville.

8 Un professeur de mathématique dirait qu’on ne peut pas additionner des pommes et des poires ou comparer des carottes avec des poireaux

2017-03-28