Tribunal fédéral de Lausanne
Il faut voter résolument NON à cette initiative qui est contraire à notre ordre juridique.

Le 28 novembre prochain, nous allons voter sur l’initiative demandant la désignation des juges fédéraux par tirage au sort, appelée aussi Initiative sur la justice. Cette initiative a été lancée par un millionnaire suisse-alémanique dont c’est devenu l’idée fixe, quasiment une mission sacrée, après que le Tribunal fédéral, en 1999, a donné raison aux employé·e·s de son usine de textile, qu’il avait brutalement licenciés, pour avoir fait usage du droit de grève !

Actuellement, les juges fédéraux sont élus par l’Assemblée fédérale pour une durée de 6 ans, renouvelable jusqu’à l’âge de 68 ans, sur proposition de sa commission judicaire, dont j’ai fait partie durant les quatre dernières années de mon mandat. Le Parlement fédéral veille à assurer une représentation équilibrée des partis, des genres et des régions et tient compte, bien entendu, des fortes compétences juridiques et professionnelles attendues des candidat e s à ces postes. Tous les cantons connaissent le même système pour les membres des Tribunaux cantonaux.

L’idée du tirage au sort n’est pas nouvelle et a souvent été évoquée, en s’inspirant de l’Antiquité, pour élire les parlements, les gouvernements et, maintenant les tribunaux.

L’initiative demande que les juges au Tribunal fédéral soient désignés par tirage au sort, jusqu’à l’âge de 70 ans, sur une liste élaborée par une commission spécialisée qui examinerait les aptitudes personnelles et professionnelles des personnes candidates. Selon eux, cela dépolitiserait totalement la composition du Tribunal fédéral.

Cette funeste initiative doit absolument être rejetée. En premier lieu, le Tribunal fédéral est le troisième pouvoir de notre Confédération et il est normal qu’il reflète, à l’instar du Conseil fédéral, les différents courants sociaux et opinions politiques, qui sont ainsi représentés de manière transparente et équilibrée, ce qui renforce l’acceptation de notre Cour suprême par la population.

Seule l’Assemblée fédérale peut tenir compte des critères  mentionnés ci-dessus. Si l’initiative était acceptée, ce ne seraient pas  forcément les personnes les plus compétentes qui seraient élues, mais celles qui ont de la chance.

De plus, le tirage au sort ne permet pas ou, du moins beaucoup moins, d’assurer l’équilibre de la représentation. Au contraire, le risque existe que des valeurs, des partis, des langues, des genres ou des régions soient fortement surreprésentés ou sous-représentés au Tribunal fédéral pour une longue durée. À titre d’exemple, les élections pour remplacer un membre du Tribunal fédéral doivent tenir compte de la langue ou du parti politique afin d’éviter que les différentes cours de notre plus haute instance juridictionnelle ne soient déséquilibrées.

L’histoire nous a montré que, malgré leur affiliation politique, les juges fédéraux font preuve de beaucoup d’indépendance face aux partis politiques. D’ailleurs, il n’est jamais arrivé que le Parlement fédéral ne réélise pas un-e juge en raison de l’une de ses décisions judiciaires.

Le dernier point qui pose problème est la fameuse commission spécialisée indépendante nommée pour 12 ans par le Conseil fédéral. Comment peut-on être certain que celle-ci n’aura pas une orientation politique qui fausserait la liste par elle proposée ? De plus, quelle est sa légitimité politique par rapport à des élu e s du Peuple ?

Il faut donc voter résolument NON à cette initiative qui est contraire à notre ordre juridique. Laissons donc le sort décider pour la tombola du chœur mixte, mais pas pour la plus haute instance juridictionnelle de notre pays !

Didier Berberat

2021-10-04