Souvenons-nous de cet avertissement de Stefan Zweig, il y a 80 ans : « C’est justement au moment où la liberté nous fait l’effet d’une habitude et non plus d’un bien sacré qu’une volonté mystérieuse surgit des ténèbres pour la violenter. »

Historiquement, le fascisme (de l’italien fascismo, lui-même issu du mot fascio qui désignait le faisceau des licteurs romains) est la doctrine développée par le dictateur italien Benito Mussolini (1883-1945), au pouvoir de 1922 à 1943. Fondé sur la domination d’un parti unique glorifiant la communauté nationale, l’honneur de la patrie, la virilité et le culte du chef (Duce), ce régime instituait l’« État total » en subordonnant les organes législatif et judiciaire à l’autorité du Parti et en réprimant impitoyablement ses opposants. Dès leur plus jeune âge, les Italiens étaient embrigadés dans diverses organisations et surveillés de près. L’économie était largement contrainte, avec la nationalisation de secteurs-clés et l’instauration du corporatisme qui encadrait les relations professionnelles entre le patronat et les travailleurs.

Cette idéologie a connu plusieurs variantes dont la plus sinistre est le nazisme allemand qui lui a notamment ajouté la dimension raciste et la conquête d’un nouvel « espace vital » à l’est de l’Europe, ce qui a provoqué la Seconde Guerre mondiale.

Depuis quelque temps, le terme « fasciste » semble être (re)devenu l’invective suprême de la gauche à l’encontre de ses adversaires les plus coriaces, tandis que l’épithète « communiste » rétorquée jadis par l’autre camp est passée de mode depuis la déconfiture de l’empire soviétique, à la fin du siècle dernier.

Deux extrémismes

En fait, la gauche démocratique est principalement confrontée à deux sortes d’extrémismes : d’une part, le national-populisme, souvent considéré comme l’héritier plus ou moins lointain du fascisme historique et, d’autre part, ce que d’aucuns nomment l’islamo-fascisme, un terme toutefois controversé. A vrai dire, peu importe l’étiquette. Ce qui doit retenir l’attention, c’est la doctrine de ces mouvements et, plus encore, leur pratique politique.

En Suisse, le national-populisme dont le représentant le plus connu est l’UDC n’est pas un fascisme, même s’il emprunte à celui-ci quelques traits caractéristiques, tels qu’un nationalisme parfois tonitruant, le refus de toute immigration « non souhaitée » qui s’apparente à la xénophobie, voire au racisme, et le rejet du supranationalisme, principalement incarné par le Conseil de l’Europe et sa Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que par la très détestée Union européenne dont la Suisse n’est pas membre. Certes, il y a dans ce parti, y compris parmi ses cadres, des nostalgiques des chemises noires et quelques allumés prêts à se porter volontaires pour pendre ou fusiller les traîtres qui pullulent dans les rangs de leurs ennemis, à commencer par les socialistes. Cependant, d’un point de vue purement pragmatique, c’est le mérite de l’UDC d’avoir su regrouper une bonne partie de ces excités autour de sa bannière et de les tenir en laisse, au moins pour le moment.

Si, avec l’extrême droite, on est en terrain connu, il en va autrement avec la doctrine des extrémistes musulmans, communément appelée islamisme. Ceux-ci propagent une interprétation fondamentaliste des préceptes de la religion coranique, laquelle, il faut s’en souvenir, regroupe environ un milliard six cent millions de fidèles, répartis dans le monde entier et plus particulièrement dans les 57 États membres de l’Organisation de la coopération islamique.

Face à l’irruption de cette nouvelle idéologie à la fois religieuse et politique, la gauche apparaît divisée et même désemparée. Ce qui n’est pas sans rappeler les interminables débats des années cinquante et soixante du siècle passé sur l’attitude à adopter face au communisme soviétique et ses diverses ramifications nationales qui usurpaient le qualificatif de « socialistes ».

L’une des sources de l’islamisme est la doctrine des Frères musulmans qui peut être considérée, à certains égards, comme une version arabo-musulmane du fascisme historique. Ainsi, dans son programme de 1936, en cinquante propositions, le fondateur de la confrérie, l’instituteur égyptien Hassan al-Banna (1906-1949), préconisait la constitution d’un parti unique, l’application de la seule législation islamique (charia), ainsi que le renforcement de l’armée et la multiplication des sections de jeunes, afin de « les enflammer pour le jihad islamique »1. Il est dès lors instructif d’observer comment évolue un État lorsque les Frères musulmans sont au pouvoir, par exemple, dans un passé récent, en Égypte et aujourd’hui en Turquie.

Face à cette nouvelle idéologie extrémiste, la question ne se pose pas sur le terrain de la liberté religieuse que personne n’entend remettre en cause. Mais les démocrates n’ont pas lutté pendant des décennies contre le cléricalisme chrétien (catholique en particulier) pour accepter aujourd’hui son retour dans une version musulmane. En démocratie, la loi civile l’emporte toujours sur le droit religieux. C’est donc par rapport à ce principe fondamental que la gauche doit se déterminer face aux revendications et aux pratiques des islamistes.

Pour conclure ce bref état des lieux, souvenons-nous de cet avertissement de Stefan Zweig, il y a 80 ans :

« C’est justement au moment où la liberté nous fait l’effet d’une habitude et non plus d’un bien sacré qu’une volonté mystérieuse surgit des ténèbres pour la violenter. »2

Raymond Spira

1 Cf. Xavier TERNISIEN, Les Frères musulmans, Fayard, 2010, p. 349 et sv.

2 Stefan ZWEIG, Conscience contre violence ou Castellion contre Calvin, 1936.

2016-09-23