Nous n’avons pas de choix, prétendent les défenseurs de RIE III, il s’agit de se libérer de la pression internationale. Certes, nous ne pouvions plus nous soustraire aux standards de l’OCDE. Mais traiter de manière égale toutes les entreprises installées sur notre sol n’impliquait nullement de leur octroyer un tel traitement de faveur.

Les pays développés, notamment dans le cadre du G20 et de l’Union européenne, nous reprochent depuis longtemps d’attirer leurs entreprises par des astuces fiscales relevant d’une concurrence déloyale.

L’occasion était bonne de considérer d’un œil critique notre politique de promotion économique basée sur le dumping fiscal. Une politique qui relève du parasitisme dans la mesure où nous captons des ressources fiscales qui viennent à manquer à nos partenaires, par ailleurs indispensables clients de nos industries d’exportation.

Les occasions manquées

L’occasion était bonne de prendre conscience de la dépendance dans laquelle nous nous plaçons face à des multinationales prêtes à plier bagage pour une offre plus alléchante ailleurs.

L’occasion était bonne de tourner le dos à un système d’imposition inéquitable qui permet à certaines entreprises de bénéficier de biens collectifs – infrastructures, formation, qualité de vie – sans assumer leur part financière.

L’occasion était bonne de faire le bilan de la course à la sous-enchère fiscale à laquelle se livrent les cantons. Une course sans fin qui conduit à fragiliser leurs budgets et à mettre en péril les prestations publiques (voir notre article Lucerne: du paradis fiscal à l’enfer budgétaire). Une perversion du fédéralisme qui privilégie le chacun pour soi au détriment de la solidarité confédérale. Une pratique érigée en religion, comme le note Silvia Steidle, municipale PLR des finances de la ville de Bienne.

Mais la Suisse n’a saisi aucune de ces occasions, tant elle peine à tirer les enseignements de ses expériences passées. Des années durant, elle a défendu bec et ongles son secret bancaire, imaginant des montages tel Rubik (DP 1853), pour finalement rendre les armes sans n’avoir jamais pris l’initiative.

Aujourd’hui, elle se plie aux injonctions internationales – suppression des statuts fiscaux privilégiés – en généralisant ce statut à toutes les entreprises et en créant de nouvelles niches. Des niches (DP 2146) – patent box, intérêts notionnels – dont on peut douter qu’elles soient encore longtemps tolérées au sein de l’OCDE.

Quant aux cantons, encouragés par le soutien financier annoncé par Berne, ils poursuivent leur course-poursuite dans le moins-disant fiscal. N’a-t-on pas vu le canton de Vaud, pressé de poser ses marques, démarrer en solo avant même l’adoption du cadre légal fédéral ?

Baisse d’impôts pour les actionnaires…

En résumé, l’obligation de se conformer aux standards internationaux a servi de commode couverture à une opération sans précédent de réduction de la charge fiscale des entreprises et des actionnaires. Une parfaite illustration de l’effet d’aubaine.

La réforme provoquera une baisse substantielle des rentrées fiscales. Les budgets des collectivités publiques en souffriront d’autant plus que les Chambres fédérales ont refusé toute mesure de compensation, telle l’imposition des gains en capital et l’augmentation de la taxation des dividendes. Ces deux mesures auraient pourtant répondu en toute logique aux avantages nouveaux et substantiels que RIE III fournit aux actionnaires.

… et baisses des prestations publiques pour tous

Car les entreprises et les actionnaires sortent à coup sûr gagnants de cette réforme. Alors que les collectivités publiques verront diminuer leurs ressources et aligneront les programmes d’économies budgétaires. Voilà pour les certitudes. Quant aux slogans de campagne des partisans de la réforme – emplois, investissement, compétitivité –, ils reposent sur des scénarios fragiles et de pures spéculations (DP 2145).

Nous n’avons pas de choix, prétendent les défenseurs de RIE III, il s’agit de se libérer de la pression internationale. Certes, nous ne pouvions plus nous soustraire aux standards de l’OCDE. Mais traiter de manière égale toutes les entreprises installées sur notre sol n’impliquait nullement de leur octroyer un tel traitement de faveur.

L’alternative existe. Exiger d’abord un armistice entre les cantons et la fixation d’un taux plancher d’imposition des bénéfices; avec un minimum compris entre 16 et 18%, la Suisse ferait encore très bonne figure en comparaison internationale. Ensuite régler de manière beaucoup plus restrictive les possibilités de réduction du bénéfice imposable. Et enfin, faire participer équitablement les gagnants de la réforme, au premier chef les actionnaires, à l’équilibre des finances publiques.

Equité et équilibre, deux principes que le Parlement a par trop méprisés.

JEAN-DANIEL DELLEY

Domaine public, 5 janvier 2017

2017-01-09