Depuis 1912, à part une brève interruption entre 1915 et 1918, le Parti socialiste, d’abord seul puis, dès 1944, avec ses alliés popistes, auxquels se sont joints les Verts en 1988, détient la majorité dans les autorités de La Chaux-de-Fonds.

En 1865, le docteur Pierre COULLERY (1819-1903), le médecin des pauvres, fonde une section locale de l’Association internationale des travailleurs, créée à Londres en 1864 par Karl Marx et quelques autres. De 1865 à 1868 paraît dans notre ville un premier journal de gauche, La Voix de l’Avenir, suivi de La Montagne et, à partir de 1890, de La Sentinelle, unique quotidien socialiste neuchâtelois dont l’existence, souvent difficile, s’est malheureusement achevée le 19 mai 1971 (Les archives du journal sont accessibles en ligne sur le site « Presse suisse en ligne »).

C’est en septembre 1896 que fut officiellement fondée à La Chaux-de-Fonds une section du Parti socialiste neuchâtelois (PSN), alors que depuis 1888 un parti ouvrier participait aux élections communales. Au mois de novembre 1907, Jean Jaurès (1859-1914) prononça deux conférences au Temple national1 devant un public enthousiaste. Pour l’anniversaire de la Commune de Paris, le 18 mars 1917, Lénine (1870-1924) vint à La Chaux-de-Fonds où il prononça une conférence en allemand au Cercle ouvrier, aux côtés de E.-Paul Graber (1875-1956), conseiller national et rédacteur de La Sentinelle.

Jusqu’en 1912, radicaux et libéraux se partageaient le pouvoir, ne laissant que des miettes aux socialistes. Mais cela changea avec l’introduction de la représentation proportionnelle et depuis lors, avec une seule interruption entre 1915 et 1918, les socialistes, d’abord seuls, puis avec leurs alliés du Parti ouvrier et populaire et les Verts, détiennent la majorité au Conseil général et au Conseil communal de notre ville.

Histoires d’une ville de gauche

En 1877, le théologien français Jean-Joseph Gaume (1802-1879) prédit que les socialistes impies procéderont bientôt à « l’immolation d’une personne à une Idole quelconque » en réinstaurant les sacrifices humains2. Trente ans plus tard, l’essayiste et critique littéraire Emile Faguet (1847-1916) annonce dans son ouvrage Le socialisme en 1907 que « Le régime collectiviste sera l’indigence permanente traversée par de fréquentes crises de famine »3. Une opinion que semble partager l’éditorialiste du National Suisse, quotidien radical paraissant à La Chaux-de-Fonds, qui proclame à la veille des élections de 1912 qu’« un vigoureux effort de tous les amis de l’ordre – ouvriers conscients, négociants, industriels – peut encore réfréner, avec des chances de succès, la vague rouge du collectivisme intégral. Notre ville, poursuit-il, n’est pas acquise, dans sa majorité, à des théories ineptes dont l’unique résultat serait de semer la ruine, à un moment où plus que jamais l’industrie horlogère, menacée, a besoin de l’étroite collaboration de toutes les bonnes volontés. »4

Et voilà pourtant que ces abominables socialistes, avec à leur tête Charles Naine (1874-1926) et E.-Paul Graber, gagnent en cette année 1912 les élections communales qui, pour la première fois, se déroulent au scrutin proportionnel.

En 2012, un groupe de militantes et de militants socialistes a entrepris de raconter cette histoire centenaire. S’ils n’ont trouvé aucune trace de sacrifice humain sur les hauteurs jurassiennes, ils ont en revanche découvert comment la conduite des affaires publiques par la gauche peut se révéler très différente de celle des partis bourgeois. Il est exceptionnel qu’une telle observation porte sur une période aussi longue. Écrit par un collectif d’auteurs, avec de nombreuses illustrations, l’ouvrage retrace les principaux événements de la gestion communale durant un siècle, sans oublier l’accueil des immigrants venus de toute l’Europe, ni la tradition pacifiste et parfois antimilitariste de la gauche ou la conquête de leurs droits par les citoyennes5.

Ici prirent leur essor quelques-uns des grands tribuns du socialisme suisse : Charles NAINE, E.-Paul GRABER, Fritz EYMANN (1880-1949), Jules HUMBERT-DROZ (1891-1971)6, André SANDOZ (1911-2006)7. Plus près de nous, d’autres élus fédéraux, à commencer par Pierre AUBERT (1927-2016) qui devint Président de la Confédération, Rémy SCHLÄPPY (1917-2003), Heidi DENEYS (1937-2014), Francis MATTHEY et aujourd’hui Didier BERBERAT firent leurs premières armes à la section de La Chaux-de-Fonds où milite aussi Gisèle ORY, première femme socialiste à représenter le canton de Neuchâtel au Conseil des États et qui a siégé de 2009 à 2013 au Conseil d’État de notre canton.

Issus des mouvements regroupant à la fin du XIXe siècle les travailleurs de l’industrie et les petits artisans, les socialistes chaux-de-fonniers ont une longue tradition de lutte pour la justice sociale et contre l’exploitation capitaliste de la main d’œuvre ouvrière.

Cette histoire présente en outre quelques traits originaux : le pacifisme tout d’abord qui s’est parfois traduit en antimilitarisme. Ensuite, un goût marqué pour la liberté qui pousse les socialistes du cru à refuser, en 1920, les « 21 conditions » mises par Moscou à l’adhésion à la IIIe Internationale, puis à combattre fermement le fascisme italien et le nazisme. Au début des années soixante, c’est grâce à l’ouverture d’esprit des socialistes chaux-de-fonniers que les militants de la Nouvelle Gauche finirent par rallier, dans leur majorité, les rangs du Parti socialiste neuchâtelois, donnant à celui-ci une assise plus large et de nouveaux espaces idéologiques.

L’avenir: le Parti socialiste des Montagnes neuchâteloises

Depuis le 1er janvier 2012 les sections de La Chaux-de-Fonds, du Locle, des Brenets et des Ponts-de-Martel ont fusionné pour donner naissance au Parti socialiste des Montagnes neuchâteloises (www.PSMNE.ch).

Aujourd’hui comme hier, l’action des socialistes montagnons met au premier rang la défense des plus faibles, la résistance aux dérives populistes et la lutte pour la justice sociale sans laquelle il ne peut exister de vraie liberté.

Raymond Spira

1« Le Temple français, aussi appelé Temple national, était situé à I ‘emplacement de I ‘actuel Grand Temple. Il fut entièrement détruit par un incendie le 16 juillet 1919. Au début du XXe siècle, ce lieu de culte abritait aussi des manifestations sans rapport avec la religion. » (voir l'article Soirée Jean Jaurès).

2Cité in Marc ANGENOT, Rhétorique de l’anti-socialisme. Essai d’histoire discursive 1830-1917, Presses de l’Université Laval, Québec 2004, p. 170.

3Ibid., p. 141.

4Le National Suisse, 7 mai 1912.

5La Chaux-de-Fonds 1912-2012. Histoires d’une ville de gauche, Editions Alphil, Neuchâtel 2012.

6Jenny HUMBERT-DROZ, Une pensée, une conscience, un combat. La carrière politique de Jules-Humbert Droz retracée par sa femme, A La Baconnière, Neuchâtel 1976.

7Léo BYSAETH, Anne-Lise GROBETY, Marc PERRENOUD et Loyse RENAUD HUNZIKER, Un socialiste chaux-de-fonnier au XXe siècle. André Sandoz 1911-2006, Editions Alphil, Neuchâtel 2007.

2016-10-08